Olivier Razemon raconte la "triste histoire" des villes moyennes

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S’il reste "assez ignoré à Paris et dans les grandes métropoles", le même processus de dévitalisation est enclenché dans les villes moyennes, alimenté par l’essor des périphéries commerciales et le prisme du "tout voiture". A l’occasion d’une rencontre avec l’Ajibat, Olivier Razemon revient sur ce constat, développé dans son ouvrage intitulé "Comment la France a tué ses villes".

 

Privas, Agen, Lunéville, Vierzon, Soissons, Périgueux ou  encore Calais… Le phénomène concerne presque toutes les villes, sauf les métropoles, quelle que soit leur taille, leur couleur politique, ou encore la situation économique de leur agglomération. Devant l’Ajibat, mardi 10 janvier, le journaliste Olivier Razemon dépeint la "triste histoire" de ces préfectures ou sous-préfectures, dans lesquelles on ne compte plus les "vitrines vides", les "stores baissés" ou les "boutiques abandonnées" *. "On peut estimer qu’entre un tiers et la moitié de la population vit dans l’une des agglomérations touchées, à divers degré, par la dévitalisation", écrit-il. Le taux de vacance commerciale y atteint des sommets. Et si "c’est grave, c’est parce que ce n’est pas juste une histoire de commerces". Car en parallèle, ces villes comptent "10 à 20 % de logements vides ; pas forcément insalubres, mais qui ont du mal à trouver preneurs". C’est parfois deux fois plus que le taux observé dans les communes périphériques. S’il n’a pas fait de courbe liant la vacance du logement et celle du commerce, le journaliste estime que "ça doit se corréler", sans toutefois pouvoir affirmer laquelle entraîne l’autre. 

La ville se paupérise

Ce qui est sûr pour lui, en revanche, c’est que "tout cela résulte de l’étalement urbain continuel pendant 50 ans, et qu’on continue à faire", résume-t-il. Aujourd’hui, commerces et habitants se retrouvent de plus en plus en périphérie, dans des zones qui ne sont accessibles qu’en voiture, et donc réservées aux ménages les moins défavorisés. Aux autres, la ville paupérisée.
Au final, "c’est la ville elle-même qui disparaît, la cité où l’on se croise, se rencontre. Dans les centres commerciaux, on est là pour acheter. Dans la ville, pas forcément…", rappelle-t-il. En cause notamment, le tout voiture. Il y a selon le journaliste un "dénigrement complet de l’habitant de la ville dans l’espace public". "On s’adresse à eux comme s’ils étaient soit des automobilistes, soit des consommateurs…", regrette-t-il encore, dénonçant notamment les trottoirs très étroits, peu accessibles aux piétons. Il préconise donc de "faire en sorte que ce soit possible de se déplacer autrement qu’en voiture". Et aussi – et surtout – de stopper le développement des centres commerciaux périphériques, auxquels "très peu d’élus renoncent", mus par une vision concurrentielle entre les territoires : "on vit la ville comme une petite nation qui devrait créer ses propres richesses, son propre PIB. La question de l’interaction entre les territoires n’est pas prise en compte", explique Olivier Razemon.

La clé : les habitants

Faut-il relancer la réforme de l’urbanisme commercial, que tant d’acteurs appellent de leurs vœux ? Le système des CNAC et CDAC (commissions nationale et départementales d’aménagement commercial), qualifiées de "passoires qui autorisent 80 % des projets" qui leur sont soumis, "mériterait d’être revu", admet le journaliste. Mais pour en faire quoi ? "J’ai tendance à croire plus à la politique qu’à la loi", autrement dit à une meilleure utilisation des outils existants, poursuit-il. Ce qui demande nécessairement une prise de conscience de la part des élus, qui pour l’heure demeure "limitée". "Le phénomène reste assez ignoré à Paris et dans les grandes métropoles", observe le journaliste. Et ce malgré quelques mesures sur le sujet dans les lois Alur ou Pinel (2014), un AMI gouvernemental sur la revitalisation des centres-bourgs, une mission confiée en février 2016 par le gouvernement à l’IGF et au CGEDD sur les commerces en centre-ville ou encore les conventions mises en place par la Caisse des dépôts. Quoi qu’il en soit, "cela prendra du temps" d’enrayer le phénomène, et la situation risque d’être "encore plus grave dans quelques années", estime Olivier Razemon, selon qui "ce sont les habitants qui ont la clé", même si ceux qui ont conscience du processus à l’œuvre sont "minoritaires". "Partout, je constate que des lanceurs d’alerte n’ont pas envie de se laisser faire, c’est plutôt rassurant", tient-il à souligner. De quoi voir là un peu d’espoir pour les villes moyennes ?

* Olivier Razemon a consacré un ouvrage à ce sujet, "Comment la France a tué ses villes", paru en octobre dernier aux éditions Rue de l’Echiquier (208 p. ; 18 €).

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