Les urbanistes veulent des "villes aimables"... et en transition

"Kiffez vos territoires !" C’est l’injonction faite à la profession par le Conseil français des urbanistes (CFDU), qui tenait, du 30 août au 1er septembre, ses 21e universités d’été. L’occasion, pour ce corps de métier pluridisciplinaire, voire "systémique", selon Philippe Druon, son président, de se poser, comme chaque année, avant la rentrée, "des question fondatrices sur l’urbanisme". Un "moment de remise à zéro, de reset cérébral", qui permet de rester "en phase avec la société", pour ne surtout pas retomber dans un exercice "pontifiant" du métier, "à la sauce Trente glorieuses".

Mais qu’est-ce qu’une ville aimable? Pour les organisateurs, c’est une ville à la fois "apaisée", "ludique", "affective", mais également une ville "inclusive", c’est à dire dans laquelle chacun se sent à sa place. Enfin, c’est une ville "agile", parce que mutable et innovante, et une ville "fertile", parce que nourricière, collaborative, et résiliente.

Pour illustrer cette "fertilité" souhaitée, plusieurs acteurs ont été invités à partager leur témoignage. A l’image de Jean-Christophe Lipovac, responsable de la transition écologique et sociale à la direction des services de Grande-Synthe, dans la communauté urbaine de Dunkerque (Nord). Cet ancien village, qui s’est fortement développé à partir des années 1950 autour de grandes mono-industries, a subi, dès les années 1970, un fort déclin démographique, au fil de la désindustrialisation.

Devenir "ville agréable"…

Peuplée aujourd’hui de 23 000 habitants, "en légère progression depuis les années 2000", la comune veut voir son image passer de celle d’une ville industrielle, où l’on ne fait que travailler et dormir, à celle d’une "ville agréable". C’est pourtant dès 1971 que la collectivité a engagé un travail sur son cadre de vie. "Cela a commencé par la démolition de barres", très nombreuses dans cette ville-champignon des années de la reconstruction, "pour en faire des espaces verts", indique Jean-Christophe Lipovac.

… Puis "ville en transition"

Cette politique a pris plus d’ampleur,  dans les années 1990, avec la création de 400 ha d’espaces verts, soit 127 m2 par habitant, "un record". La ville comprend, en outre,  une réserve naturelle régionale "d’un seul tenant" sur son territoire, ainsi qu’une "ceinture verte" autour du centre-ville. Après l’élection en 2001 de Damien Carême (PS passé EELV), cette politique connaît une certaine accélération,  au point que Grande-Synthe devient, en 2010, la première "capitale française de la biodiversité". En 2011, la Ville se déclare "en transition", dans le sillage du mouvement créé par Rob Hopkins. Ce qui implique de mener des actions dans les champs énergétiques, économiques et sociaux.

Ville nourricière

Une réflexion sur l’alimentation a été "logiquement" lancée, qui a abouti à la volonté de faire "une ville nourricière". C’est ainsi par exemple que des arbres fruitiers ont été plantés sur toute la ceinture verte, ou que 12 ha de jardins familiaux ont été créés dans le grand collectif, sur les anciennes pelouses en pied d’immeuble. Les cantines de la ville sont approvisionnées à 100 % en bio, dans le cadre, notamment, de contrats d’approvisionnement en circuit court avec des entreprises d’insertion. Pour le responsable transition de la ville, il s’agit en effet de traiter ensemble les questions écologique et sociale, dans ce territoire qui culmine à 24 % de chômage et enregistre un revenu médian très en-dessous de la moyenne.

Une ferme multi-services en gestation

Pour aller toujours plus loin, la réflexion se porte aujourd’hui sur la création d’une "ferme multi-services", à la lisière de la ville, et en lien avec la ruralité proche. "Sur ces anciennes terres maraîchères, un exploitant est sur le point de partir en retraite. Nous voulons saisir cette opportunité pour aider à la création d’activité". Celle-ci renforçant, par la même occasion, l’approvisionnement en bio de la ville, tout en réduisant encore les distances. Autre avantage, l’aspect pédagogique sera développé, et pourquoi pas un "incubateur paysan", pour multiplier les créations d’activités de ce type dans l’agglomération. "Nous sommes en train de mettre en place un service public de l’alimentation", se félicite Jean-Christophe Lipovac.

Aider à la création de fermes urbaines

Pour autant, les fermes urbaines "n’ont pas vocation à remplacer l’agriculture classique", prévient d’emblée Boris Marcel, membre de la direction des Cols Verts, une entreprise de l’économie sociale et solidaire (ESS) qui aide à l’installation de ce type de structures. C’est un des moyens d’améliorer la qualité et la durabilité de l’approvisionnement des villes, mais pas le seul. Les atouts de l’agriculture urbaine sont nombreux, en termes de santé publique, d’environnement, de citoyenneté… "à condition de se baser sur une agriculture permacole ou sobre!", explique l’entrepreneur social, qui se définit également comme militant.

"Le hors-sol 'high-tech’ a le mérite de la visibilité médiatique, à l’image des tours végétalisées, dont trois projets sont lauréats de 'Réinventer Paris’, qui touchent fortement l’imaginaire collectif". Mais ce sont des installations très énergivores", donc pas très écologiques. De plus, "il n’y a aucune vertu éducative ou citoyenne à avoir un hangar fermé, même au milieu de la ville". Sa structure privilégie donc le "low-tech", et, à chaque fois que possible, la culture en pleine terre.

Diversité des projets

Cols Verts se positionne comme une "tête de réseau" qui aide les "communautés" locales à développer leurs projets, forcément différents selon le territoire. Les nombreux freins à l’nstallation de fermes urbaines sont en effet d’intensité variable dans chaque ville. Le premier d’entre eux est le foncier, rappelle Boris Marcel, les promoteurs faisant pression pour construire un nombre de logements suffisant pour assurer la rentabilité de l’opération. Certaines activités agricoles présentent également des nuisances, qu’il s’agit d’anticiper. Il faut par ailleurs passer outre les préjugés des agriculteurs ruraux alentour,  lorsque l’activité se conçoit en partenariat avec des installations classiques. Enfin, il faut prévoir dès l’amont les difficultés apparaissant à l’usage, comme la perte d’intérêt des usagers, ou le vandalisme.

 

Deux questions à… Philippe Druon, président du CFDU

Urbapress : La profession d’urbaniste sera-t-elle prochainement enfin reconnue et protégée ?
Philippe Druon : On sait bien qu’il n’y aura jamais d’ordre des urbanistes. Nous visons la reconnaissance du titre, pour les diplômés issus des instituts d’urbanisme. Trop de professionnels s’autoproclament urbanistes. Il faut protéger le savoir-faire des gens qui ont fait cinq ans d’études dans le domaine. Pour les autres, ceux qui n’ont pas le diplôme mais ont clairement acquis des compétences d’urbanisme, on peut imaginer, comme pour les paysagistes, une commission qui attribue le titre. Nous avions engagé un chantier interministériel avec le gouvernement précédent, qui était en bonne voie d’aboutir. Nous ne sommes pas encore au travail avec le nouveau, mais je pense que d’ici un an on aura réglé la question.

Urbapress : Quel sera le thème des prochaines universités d’été ?
Philippe Druon : Le thème sera "l’alter-urbanisme". L’autre société qui se prépare engendre une autre façon d’aménager. Tous les indicateurs nous montrent que la société va changer, de manière très forte, de modèle économique et social, et face aux désordres écologiques. Le "développement durable", ce n’est plus pour les sociétés futures, c’est pour nous, maintenant. Aujourd’hui, s’y préparer, c’est être dans "l’alter". Les sociétés vont devoir envisager la frugalité, c’est certain. Comment fait-on des projets frugaux, existe-t-il un urbanisme frugal ? Ce sont parmi les questions que nous nous poserons l’année prochaine.
 

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